vendredi 29 mars 2019

Traversée du Pacifique


28 Mars 2019
Atuona, port d’entrée sur l’Ile Hiva Oa, dans l’archipel des Îles Marquises, en Polynésie française.





Je n’ai pas crié Terre! Terre! car mon homme dormait mais j’ai vu l’Ile et ses montagnes vers 5h30 am heure locale. Nous avons jeté l’ancre à 10h. Ça y est, nous voilà enfin arrivés! En plein milieu du Pacifique, avec notre voilier! Je vous rassure, ce fut une belle traversée. On n’a pas rencontré de conditions difficiles et la mer était relativement clémente. Cette mer porte bien son nom: PACIFIQUE! On pourrait ajouter un autre surnom: VARIABLE. Notre plus grand souci dans les 3 dernières semaines était de régler nos voiles avec un vent changeant constamment en 8 et 20 nds et retour à 8 dans la même minute. Ça nous faisait changer de cap souvent. Il fallait fréquemment intervenir pour ajuster l’auto Pilote, ou les voiles. Mais dans l’ensemble, tout s’est bien passé, au delà de nos espérances. Si je compare cette traversée à ma TransAtlantique, elle a été plus facile car les vagues étaient moins fortes tout au long du parcours (plus confortable et moins de mal de mer). Elle fut plus longue, certes, mais nous étions conditionnés. Malgré la hâte de mettre pieds à terre, on n’a pas trouvé ces 31 jours aussi longs et pénibles que nous l’appréhendions.

Ce n’était pas une sortie de plaisance ordinaire. Ni une grande partie de plaisir. Nous avions une mission à faire et nous l’avons accomplie du mieux qu’on le pouvait. Nous devions amener Ambition jusqu’ici, en toute sécurité, afin de poursuivre notre voyage, et c’est fait! Certains se disent qu’ils n’auraient pas pu faire ça. Je réponds qu’avec une bonne préparation, beaucoup de détermination, de la patience, et un peu de chance, je suis certaine que tout le monde peut le faire! En bonus, nous avons vécu de beaux moments de grandes complicités. Il régnait à bord une harmonie, un respect de l’autre et une bonne humeur qui nous ont aidé à supporter ce long périple. Voici quelques chiffres en vrac:

3825 Milles nautiques de parcourus (6885 km)
Nombre de jours continus en mer: 31 jour
Moyenne de MN par jour: 124,4 MN
Moyenne de vitesse: 5,2 nœuds
Nombre d’heures moteur: 78 h
Nombre d’heures à voiles: 662 h
Jours de pluie: 2 plus quelques rares averses
Couverture nuageuse: - de 40% du temps
Ciel ensoleillé: + de 60% du temps
Température moyenne: 28 C
Changements de fuseau horaire: 3,5
Nombre de repas à planifier et à préparer: 93
Nombre de fois ou j’ai vomi: 1 seulement ;-)
Nombre de mésaventures: 2



Je considère cette traversée en deux grandes étapes. La première était de prendre un cap plein sud en partant du Panama et de dépasser les îles Galapagos un peu à l’ouest. On savait que nous aurions de grandes zones sans vent et nous étions inquiets de ne pas avancer ou de devoir utiliser trop de réserve de diesel. Mais avec l’aide de notre fidèle ami Philippe à Montréal qui nous a bien guidé au travers les courants et les poches de vent entre de larges bandes trop calme, on a été en mesure de bien avancé. Le vent variait entre 5 et 15 nds. On devait alterner entre moteur, spy, et génois, avec ou sans Grande voile. Une de nos activités régulières était d’installer le spy, de retirer le spy. D’installer le tangon à tribord, de remballer les voiles et ressortir le tangon à bâbord. On a ajusté les voiles comme jamais auparavant. On devient bons, enfin! On a bien profité de la brise aux endroits où elle passait. Les vents faibles ont permis de profiter d’une mer plutôt calme. Nous n’étions par conséquent pas trop importunés par les vagues. Je me suis évité un mal de mer pour les premiers 8-10 jours. On a réussi à faire du chemin plus rapidement qu’on ne l’espérait. Cette étape de 1000 MN a été accomplie sans trop de difficulté finalement.



Une fois sorti de cette zone de convergence et atteint les alizés du Pacifique (vent constant de l’Est qui nous portera tout au long du reste du parcours) la seconde partie s’avérait encore plus simple. Une direction plein ouest, légèrement vers le sud, une ligne droite vers les Marquises. Nous avons bénéficié d’un vent soutenu pendant ces 2800 MN. Comme je le mentionnais plus haut, le challenge était qu’il variait constamment entre 8 et 20 nds (parfois avec pointes à 25 nds) à chaque 5 minutes et que sa direction était parfois E, parfois SE. On devait surveiller étroitement les voiles et le cap pour rester proche de notre ligne directe. Il y a eu quelques jours ou nous avancions rapidement, d’autres plus lentement. Certaines journées la mer était un peu plus agitée et j’avais le cœur dans la flotte mais j’ai mieux géré ma médication et ce fut moins pénible. En général, ce fut moins difficile que je m’attendais!

Nous avons passé la ligne de l'Équateur a 2h am pendant un de mes chiffres. Je n'ai pas osé réveiller mon homme mais passer dans l'hémisphère sud a un certain effet. Voici notre GPS avec les coordonnées live pour montrer que nous étions vraiment!



Les nuits entrecoupées ont eu raison de notre corps. On ressentait une baisse d’énergie. Comme lorsque nous sommes en convalescence et que notre seul activité à faire est de se reposer, nous avons pris le parti de nous considérer comme tel. Notre unique activité était de conduire le bateau, et le reste, on se reposait ou on répondait a nos besoins de base. Bien manger 3 fois par jour, bien s’hydrater surtout, et prendre des collations, prendre une bonne douche chaque jour (vive notre dessalinateur!).


Autrement, pas de pression à faire quoi que ce soit d’autre. Certaines journées étaient plus productives que d’autres mais, en général, on a choisi de seulement prendre soin de nous même. C’était notre unique job à faire. J’appréhendais de « capoter » de vivre dans un espace restreint pendant si longtemps. Lorsqu’on est disposé à vivre cette expérience, contre toute attente, on se résigne assez facilement et on vit bien avec ça. Ce fut moins difficile que prévu. Il n’était pas question de se plaindre. Même mon homme, qui peut être parfois négatif à ses heures, il m’a agréablement surprise. Il a été positif et patient, (presque) tout au long de cette navigation.

Nous avons vécu 2 mésaventures avec les équipements. Compte tenu du chemin parcouru, on considère que ce n’est pas trop pire... Autour du jour 20, par un vent de 10-12 nds, nous avons retiré les voiles régulières pour installer le spy. On souhaitait avancer plus vite. Les vents variants constamment ont fait en sorte qu’on s’est retrouvé en vent de travers soudainement, par un coup de vent violent. La voile s’est projetée sur le côté opposé, complètement hors contrôle. Elle a déchirée. La tête de la voile s’est arrachée de la chaussette, et la voile a ensuite déchiré de haut en bas, sur le guidant (bord qui longe l’étai). La voile est tombée à l’eau. On a pu la récupérer. On a aussi pu récupérer notre drisse (cordage qui la monte en tête de mât) puisque la chaussette était accroché dessus. On adore cette voile et on espère pouvoir la faire réparer si on trouve un atelier en Polynésie.


L’autre mésaventure aurait pu être dramatique de conséquences mais on s’en est bien tiré. À la nuit 23, Stéphane devait partir le moteur une petite heure pour maintenir les batteries plus hautes. En embrayant, il se rend compte que l’hélice ne fait pas avancer le bateau. Il va tout de suite vérifier dans la chambre du moteur et il constate que l’arbre (shaft) qui relie l’hélice hors du bateau à la transmission dans le bateau n’est plus la! Et que le trou laissé béant est devenue une fuite d’eau importante! Il me réveille (je l’entends encore crier LOUUUIIIIISE!) Branle bas de combat! On doit colmater le trou et pomper l’eau qui entre (pas trop rapidement heureusement) dans la cale du moteur et la cale principale du bateau. Nous avons différents bouchons en bois de toutes les grosseurs a portée de main alors ça fait bien l’affaire. L’eau de mer ne rentre plus. Ensuite on pense à l’hélice. Est ce que le shaft est complètement sorti de son socle et qu’on a perdu l’hélice? Coulée au fond de l’océan? Ce serait une catastrophe! Mais on sait que le safran (gouvernail) est situé juste derrière l’hélice et qu’en principe, il devrait la retenir. En équilibre mais la retenir quand même. Pour cette raison, on devait tout de suite l’immobiliser afin qu’il ne frotte pas sur l’hélice en laiton pour l’endommager, et surtout, qu’il ne la fasse se déplacer et la faire tomber. On rentre sur les champs toute les voiles pour arrêter le bateau. On fixe la roue dans le cockpit avec des cordages afin d’assurer l’immobilité complète du safran. Stéphane s’affaire à retirer l’eau dans le bateau. Il est 4h du matin et on doit attendre la lumière du jour pour aller voir sous la coque ce qui se passe et surtout, si notre hélice est toujours la. On attendra patiemment pendant 3h... Je vous rappelle qu’un bateau qui n’avance pas en pleine mer est ballotté dans tous les sens par les vagues. Le bateau est constamment emporté dans un grand roulis et les vagues frappants le bateau lui font faire des bonds vertigineux dans l’eau... Stéphane devait plonger dans cette eau et aller sous la coque. J’avais tellement peur qu’il se fasse assommer par la coque rigide tellement le bateau frappait fort dans l’eau. Il pouvait vraiment subir une sévère commotion. Il a pris son courage à deux mains, son masque, son tuba, ses palmes, une corde attaché à sa taille pour le rattacher au bateau et il est allé. Premier constat: 1) l’hélice est encore là, juste le shaft qui est sorti, 2) une corde de nylon fait plusieurs tours autour de l’hélice et c’est ce qui a du faire forcer l’unique écrou qui tient le shaft en place, et 3) il a eu le temps de voir que la coque est remplie d’algues et de coquillages (oh boy la grosse job à faire en arrivant...). Il a du faire plusieurs plongées, toujours en apnée, pour aller couper le cordage entremêlé dans l’hélice (une chance que la chasse l’a entraîné à garder son souffle!). Moi je le surveillais du cockpit, prête à le tirer par la corde et le ramener à bord s’il venait à se faire assommer... imaginez la scène! Ensuite il fallait remettre le shaft en place. Moi je devais être dans la chambre du moteur, récupérer le shaft que Stéphane pousserait sous l’eau, et le maintenir avec mes mains, jusqu’à ce que Stéphane remonte à bord, se sèche, et vienne prendre le relais. Le maudit shaft qui me glissait des mains et qui, avec le courant qui nous faisait avancer de plus d’un demi noeud, faisait une forte pression pour ressortir. Je ne voulais tellement pas que mon homme soit obligé de retourner à l’eau par ma faute. Je l’ai maintenu de toutes mes forces. On a pu ensuite mettre des pinces pour le garder à sa place. Stéphane avait pris la peine avant d’aller à l’eau de bien préparer ses outils et de défaire l’installation pour accueillir le shaft. Il a mis un nouvel écrou, réinstaller et solidifier tous les morceaux pour que tout soit solide et impeccable. Note ici: mon capitaine si consciencieux et perfectionniste avait vu l’année dernière que l’écrou qui tenait le shaft n’était pas idéal (trop court) et pourrait peut être présenter un risque. Lors de notre séjour au Québec l’été dernier, il a été faire usiner, sur mesure, un nouvel écrou. Juste par mesure de précaution. Alors c’est cet écrou qu’il a installé et qui est bien meilleur que l’original! Quand je vous disais qu’il est prévenant! Merci mon homme!!! Alors on a reparti le moteur, l’hélice fonctionnait très bien. On a remis toutes les voiles et on a continué notre route. Depuis ce jour, si on doit partir le moteur, le shaft tient très bien. Mon capitaine a été mon héros cette nuit là!

Le bilan de nos nouvelles batteries? Elles gardent nettement mieux la charge, c’était le but. Mais en navigation, notre consommation est vraiment trop élevée. L’auto pilote bouffe beaucoup d’énergie. Le GPS est toujours en fonction. Les transmissions de courriels et de nos rapports de position par la radio HF sont aussi très énergivores. Produire de l’eau consomme beaucoup. Et on ne se gênait pas pour charger les tablettes et l’ordinateur chaque jour. Malgré qu’on fermait le frigo régulièrement, les batteries avaient de la difficulté à se maintenir au maximum. En vent arrière, l’éolienne reçoit beaucoup moins de vent et n’est donc pas très productive. Il fallait se fier seulement sur nos supers panneaux solaires. Imaginez vous qu’avec un cap plein ouest, et la Grande Voile ouverte et choquée à tribord pour une voilure en ciseau, et bien les panneaux se retrouvaient dans son ombre une bonne partie de la journée! Ironique d’avoir investi dans ces panneaux et qu’ils n’étaient pas au moins 12h par jour au soleil! Surtout qu’il a eu de longues journées nuageuses. Toujours est il que nous avons du, pour les 2 dernières semaines, nous résigner à partir le moteur 1 heure ou 2 chaque nuit.

C’était le rêve de mon homme depuis toujours, la Polynésie! Pour ma part, le goût de découvrir ces îles exotiques en accompagnant celui que j’aime à accomplir son rêve l’ont emporté sur le sacrifice de faire cette traversée. Je suis fière de moi et je n’ai aucun regret! À moi les nouvelles aventures maintenant! J’ai repoussé mes limites! Je pourrai me dire que j’ai accompli ça dans ma vie! Quel trip inespéré, inattendu, et combien satisfaisant! Comme quoi il faut toujours rester ouvert aux propositions que l’on nous offrent...

Ces 31 jours ont passé quand même vite. Chaque journée qui se terminait nous rapprochait de notre but et ça nous encourageait. On prend finalement un rythme en traversée et ça se vit bien, même si parfois on est fatigué ou que notre patience approche nos limites. On était surpris de voir les journées passées si vites. Je n’ai pas eu de gros moments de découragements. À tour de rôle, nous avions nos petits moments d’écœurement. Heureusement nos états d’âmes n’étaient pas en meme temps et ils étaient de très courtes durées. Je ne suis pas virée folle comme j’appréhendais. Alors pour moi ce fut un succès!

Nous dormions en moyenne 8h par jour, à tour de rôle, en 3 périodes. Donc 8h par jour on se retrouvait chacun seul en charge de la navigation, et 8h par jour on se retrouvait les deux ensembles. Lorsqu’on se retrouve seul dans le cockpit, on passe le temps. Stéphane fait une heure par jour d’exercices et d’étirement. Je suis moins disciplinée que lui. J’essaie de lire, mais c’est difficile, ça me donne la nausée. Je fais des Scrabble ou d’autres jeux sur la tablette. Je regarde des films la nuit. Il adore reparler des films qu’on a vu chacun notre tour le lendemain. J’écoute des Balados diffusion (télécharges avant de partir sur le site de Radio Canada). Et surtout j’observe la mer. Contre toute attente, on ne se tanne pas de la regarder cette belle grande bleue!

Le temps que l’on passe ensemble est très agréable. On prend nos dîners et nos soupers toujours ensemble. C’est un plaisir de manger et on ne lésine pas sur la qualité de nos repas. On accompagne presque toujours notre souper d’un verre de vin. Il faut bien se récompenser de nos efforts. Car oui, malgré qu’on ne fasse pas grand chose dans une journée, c’est un effort de juste vivre sur un bateau en navigation. Et on discute beaucoup. Malgré tout le temps que l’on a passé ensemble depuis 5 ans (le début de notre relation) mais surtout à vivre 24h/7 ensemble depuis 2 1/2 ans, on a encore et toujours des choses à se dire. Ça m’épate et ça me ravie! On se raconte des souvenirs d’enfance, des histoires de jeunesse, des anecdotes de travail, nos nombreuses aventures de voyages. Je parle de ma vie, mes enfants, ma famille. Il me raconte la sienne. On discute de notre plan de navigation de la journée, de nos objectifs et destinations des prochains mois. On parle de nos futurs projets de voyages autre qu’à voile. On discute de notre retour futur au Québec et de la vie qu’on souhaite après le trip du voilier. On partage nos réflexions, nos inquiétudes et frustrations en toute transparence et c’est rassurant, réconfortant. Quel bonheur et merci la vie d’avoir mis cet homme fascinant sur ma route...


Je parlais plus tôt de grande complicité et j’apprends que, pour moi, c’est un aspect tellement important dans le couple. Nous formons une équipe solide, un duo avec des forces complémentaires, autant pour la navigation que pour la vie en général. On se découvre et on se connaît mieux, on grandi grâce à l’apport de l’autre. La complicité c’est une étroite intimité ou tu peux te mettre à nu devant l’autre sans aucun filtre et sans peur de te faire juger. L’intimité c’est de pouvoir te montrer vulnérable sans peur de l’échec. C’est de trouver l’autre beau et attirant malgré les effets de l’âge... C’est de célébrer ensemble nos succès mais aussi de rire de nos faiblesses et de nos travers. La complicité c’est d’accepter l’autre tel qu’il est. J’ai envie de vieillir auprès lui...

On a nos moments de disputes évidement, mais ça ne dure jamais longtemps et on est heureusement capable d’en parler et d’en rire par la suite. Il a un caractère fort et il aime prendre les choses en main. Autant ça m’a attiré et ça me convient, autant je dois accepter l’autre côté de sa médaille... Il me dit la même chose de moi. Il aime ma force de caractère et mon aptitude à foncer, mais il doit composer avec une femme qui n’est pas soumise, et qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. On se heurte et ça fait parfois des flammèches. Heureusement nous avons trouvé nos domaines d’expertises et nos champs d’intérêts ou chacun peut prendre le lead et où on est content de lâcher prise et laisser l’autre s’épanouir dans certains secteurs. On choisi nos batailles. Ça doit être ça « prendre de la maturité »...

Je ne vous partage pas mon journal de bord et nos performances quotidiennes. J’aimerais plutôt partager mes réflexions que j’ai eu au cours de cette traversée. Certains verront que je me répète peut être, car je n’ai pas relu tout ce que j’ai écrit depuis notre départ en Septembre 2016, alors soyez indulgent si mes pensées reviennent. Je souhaite simplement exprimer spontanément certaines émotions que j’ai vécues.

La mer

Comment décrire la mer? La mer bleue nous entoure à l’infini. C’est tout ce qu’on voit pendant 31 jours. C’est beau, surtout avec un ciel ensoleillé. Celui ci rend la couleur de l’eau d’un bleu saphir profond, avec presque des teintes de mauve. Lorsque le ciel est nuageux, ça devient plutôt gris comme le ciel. Les vagues se répètent, se répètent et se répètent encore, sans cesse. La plus grand partie du temps, pour éviter les nausées ou pour juste se reposer, on regarde la mer. Lorsqu’on la fixe, on devient presque hypnotisé par le mouvement des vagues. Ça nous invite à la réflexion, à l’introspection, à la méditation. Même si c’est un décor uniforme et répétitif, ça bouge constamment avant de se fondre avec l’horizon. Regarder la mer est un plaisir, même après tout ce temps. Je pensais qu’à un moment, je ne serai plus capable de la regarder. Que je souhaiterais voir autre choses, des couleurs et des textures différences. J’étais certaine de me lasser de ce vaste néant, toujours pareil. Mais ce n’est pas le cas. C’est difficile à expliquer mais comme c’est toujours changeant et que c’est apaisant, ça demeure réconfortant de se perdre dans cette immensité.

À part dans le golf de Panama, on n’a pas croisé de cargos sur notre route. On a vu 2 bateaux de pêches au large des Galapagos, en pleine nuit, dont un qui est passé vraiment proche de nous, trop proche. C’était risqué car on ne savait pas sa direction et nous étions à voile. Mais bon, plus de peur que de mal. On s’est fait dépassé par à peine 4 voiliers. Ces catamarans qui vont bien plus vite que nous et qu’on croisera sûrement en Polynésie. Aucun voilier ne fait le chemin inverse car on suit tous la route des vents. Nous sommes partis avec Frimousse mais dès la première nuit on s’est écarté l’un de l’autre et on ne les a pas revus. Au début, nous pouvions se parler chaque jour sur la radio HF mais après 2 semaines, les communications étaient interrompues à cause des fréquences. Seul un courriel reçu régulièrement par notre routeur ou par ma mère nous liait à la civilisation. À part ça, nous étions vraiment seuls au monde! On doit compter que sur nous même et sur notre Ambition pour nous amener à bon port. On était vraiment, vraiment, vraiment loin de tout le monde. Fallait pas trop y penser car ça pouvait donner le vertige lorsqu’on s’y attardait...

Sur l’eau, on voit beaucoup de poissons volants. Ils sortent d’une vague, volent pendant plusieurs secondes au dessus de l’eau, et replonge plus loin, se sauvant d’un gros poisson à ses trousses. On surveille car on aime tellement voir lorsqu’un gros poisson saute hors de l’eau, en train de chasser. Plusieurs de ces poissons volants se retrouvent sur notre pont, échoués la, sans possibilité de rejoindre l’eau. Dans la première moitié du trajet, les vagues transportaient aussi des seiches (genre de petit calmars) jusqu’à notre pont. Chaque jour Stéphane devait faire sa tournée et nettoyer les dégâts. Les seiches laissent de l’encre noir sur notre pont tout blanc, imaginez la réaction de mon homme! Dans le golf du Panama, on a vu des dauphins. Un immense banc de dauphins, au moins une centaine! Ils nageaient en troupe et sautaient sans arrêt, poursuivant leur route juste devant nous, en faisant des flips et des vrilles. C’était très impressionnant! Nous avons mis la ligne à l’eau régulièrement sans succès. Nous étions étonnés que cette mer si grande n’offre pas de poisson à pêcher... Et bien pour notre dernière journée, contre toute attente, nous avons pris 3 poissons! De petits thons et un bébé mahi- mahi. Comme quoi la mer voulait nous faire cette offrande avant qu’on arrive!








Les oiseaux sont aussi nombreux en mer. C’est un paradoxe qu’on ne s’explique pas encore. Ils sont à des centaines de milles de la terre, et ils virevoltent au dessus de l’eau constamment. On ne les voit pas se déposer, ni se reposer. Des petits noirs avec le dessus des ailes jaunes qui planent très bas, entre les vagues. La nuit ces derniers viennent piailler autour du bateau, cherchant peut être à s’y déposer sans succès. De plus grands oiseaux tournent autour du bateau et peuvent nous suivre un certain moment. Un en particulier, aussi gros qu’un canard avec des pâtes palmées et un long bec rose, nous a adopté. Il a réussi à se poser sur notre balcon avant et y est rester pendant 2 jours et 3 nuits! Il nous a accompagné sur une longue distance et on se demandait s’il pourrait se repérer ensuite. Il se protégeait du vent juste derrière le point d’armure du génois. Il partait chasser un poisson autour et revenait se poser. On allait le voir et il ne semblait pas effrayé. On l’a affectueusement surnommé Arthur.



Les vagues sont fascinantes, intrigantes, reposantes, dérangeantes et parfois effrayantes. Un jour elles arrivent dans le sens du vent. Plus tard, on les reçoit d’un autre angle. Le pire c’est lorsqu’elles arrivent des deux côtes du bateau en même temps, ça nous fait faire la pendule de gauche à droite constamment et c’est très désagréable. Difficile de se tenir debout ou de faire la cuisine dans ces temps là. Les vagues sont formées par le vent. Elles atteignent une hauteur moyenne selon la force du vent mais après une certaine fréquence, environ une centaine, deux vagues du double de la hauteur nous arrivent soudainement. Les vagues effrayantes sont celles qui nous bousculent violemment. Elles éclaboussent le bateau au complet, elles font pencher le bateau un peu trop, et elles peuvent nous faire surfer un peu trop vite à notre goût. Ces vagues arrivent sans s’annoncer. Alors durant la nuit, elles sont encore plus effrayantes. J’apprends à vivre avec elles. Je réalise que notre voilier est fait fort, il est bien capable d’en prendre, et j’ai confiance en lui. C’est seulement ma capacité d’encaisser ces vagues qui est limitée. Je réalise que je n’ai toujours pas le pied marin, même après 2 1/2 ans! Les vagues sont parfois si intenses qu’on se croirait parfois sur un petit taureau mécanique à faire du rodéo! Je n’ai pas beaucoup d’équilibre alors les déplacements sont ardus. Imaginez comment dormir avec ces mouvements! Et que dire du mal de mer... Mais j’avoue que cette traversée ci fut relativement bonne pour moi dans ce sens.


Les nuits

Naviguer 24h/7 sans répit nous oblige à faire des quarts de veille. Comme je le disais, ça arrive très souvent qu’un seul d’entre nous soit dans le cockpit. Heureusement que notre meilleur ami, le pilote automatique, est la pour prendre la roue. On n’a qu’à lui donner notre cap, et il fait une maudite bonne job en tout temps! Il nous reste à ajuster les voiles ou corriger le cap au besoin. Je suis maintenant autonome pour prendre des ris sur les voiles (réduite lorsque le vent forci), pour ajuster la route ou les écoutes. Mon capitaine est fier de moi. La nuit on ferme le cockpit partiellement avec des côtés en micas, pour se protéger du vent, des vagues qui peuvent éclabousser, ou de la pluie. Il fait très sombre la nuit, mais lorsque la lune luit, c’est magique comme atmosphère.

Après différents essais, notre cycle le mieux (je dirais plutôt le moins pire), est que je me couche tôt après le souper, vers 19h, et que je dorme jusqu’à 23h. Ensuite Stéphane dort de 23h à 3h. Je retourne dormir de 3h a 6h. Il se recouche de 6h à 9h. Tout ça vécu + ou - une heure. Nous sommes flexible et on laisse le plus souvent possible l’autre se réveiller seul. On fait chacun une sieste d’une heure ou plus en après midi. Mais à chaque réveil, mon dieu que c’est difficile! Notre corps n’est pas fait pour dormir seulement quelques heures et se lever. C’est pénible de sortir du lit, on devient comme des zombies. On arrive dans le cockpit et on se recouche sur la banquette, tout mou, un peu perdu. On sommeille en attendant de se réveiller complément. On met une alarme aux 20 minutes pour s’assurer de ne pas partir trop profondément, malgré que je suis incapables de dormir dehors. On doit faire le tour de l’horizon, 360 degré, pour s’assurer de ne pas voir d’autres bateaux aux alentours. On doit aussi vérifier si le cap est toujours bon, et que les voiles sont encore performantes. La nuit, lorsque je me lève, j’ai faim mais pas le goût de rien manger. J’ai la bouche sèche mais pas le goût de boire. J’ai froid et j’ai chaud en même temps. Bref ça prend au moins une heure avant de me réveiller et ensuite je me sens mieux. Lorsque la mer est calme, il nous arrive de sortir l’ordinateur dans le cockpit, de mettre les écouteurs et de regarder un film (j’en ai plusieurs en réserve sur un disque dur). Ça fait passer le temps plus vite et c’est agréable. Mais lorsque le vent est plus fort, ça fait trop de bruit, ça bouge trop et on doit rester vigilant pour les voiles, alors on s’étend, on regarde les étoiles, et on attend que le temps passe...on a juste hâte que l’autre se lève pour aller retourner au lit. On a beau dormir plusieurs heures dans une journée, le sommeil interrompu et surtout trop léger en vient à bout de notre corps. Effectivement, c’est un sommeil léger. Les bruits sont constants. On entend l’eau qui coule sous la coque, le vent qui souffle, la voile qui claque de temps en temps, les poulies qui grincent, les cordages qui s’étirent, le bateau qui craque. Sans compter le mouvement des vagues qui nous fait se balancer dans notre lit. Selon l’allure et la composition des vagues, des fois on dort dans la chambre avant, d’autres fois on se réfugie dans la cabine arrière.

Les peurs

J’aimerais aborder le thème de la peur. Certaines personnes ont peur de tout et ça les empêche d’avancer, de fonctionner, ou de sortir de leur zone de confort donc de découvrir autre chose auxquelles elles sont habitués. À l’autre extrême, il y a les téméraires qui n’ont peur de rien, qui prennent des risques, qui foncent pour découvrir plein de nouvelles expériences, mais qui courent parfois aux problèmes, ou qui peuvent se mettre dans la merde. Je me situerais au centre mais un peu plus du côté des fonceurs. J’ai toujours pris des risques dans ma vie pour avancer et grandir, mais des risques calculés, en mettant toutes les chances de mon côté.

Être sur un petit voilier et traverser l’océan est, pour certains, très téméraire et courageux. Mais pour d’autres navigateurs expérimentés que nous avons croisés, nous sommes considérés comme des plaisanciers assez peureux dans notre façon de naviguer. On est conservateur dans le déploiement des voiles et on ne pousse jamais la machine à fond, par conséquent on est plus lent. Mais ça nous convient. On étudie la météo et les bons moments de naviguer dans l’année et on ne part jamais si la météo n’est pas favorable. Notre seuil de tolérance par rapport à la force du vent et les conditions de la mer est plus bas que nos amis de Frimousse par exemple, et on vit bien avec ça. On choisi de se faire guider par un routeur lors de nos longues traversées pour qu’il nous indique les meilleures routes qui seront les moins difficiles. On a tous les deux une peur bleue des tempêtes. Une tempête peut être terrible à vivre comme individu et aussi très dommageable pour le bateau. On n’a jamais connu de mauvais temps en mer et on fait tout pour l’éviter. On ne peut pas tout prévenir et dame nature peut nous jouer des tours mais nous sommes très prudents à ce niveau. La peur de traverser une tempête est toujours la... On a lut et on connaît la théorie comment agir en cas de gros temps, mais on ne sait pas comment on va réagir en situation réelle. Mon homme est un bon capitaine mais il peut paniquer, il le reconnaît. Même chose pour moi. J’ai tendance à m’emporter facilement. Comment je réagirais dans des conditions extrêmes ou dangereuses? La mésaventure de l’arbre d’hélice me rassure qu’on fait une bonne équipe, et qu’on est capable de garder notre sang froid!

Une autre peur réelle nous guette en tout temps: un bris d’équipement qui mettrait notre sécurité (ou notre budget!) à risque. Tout peut briser sur un voilier et les conséquences peuvent être plus ou moins dramatiques. Briser une voile comme ça nous est arrivé, on peut vivre avec ça, car on a d’autres voiles de rechange. Le moteur arrête (ou on perd l’hélice!), finalement on a les voiles pour avancer et on peut se débrouiller avec le dinghy pour l’atterrissage. Mais briser un hauban, ou pire l’étai, et bien le mât peut risquer de tomber, c’est la catastrophe! Se faire frapper par la foudre et endommager irrémédiablement tout l’électronique, c’est aussi une catastrophe! On n’a pas de cartes papiers. Mais on a 4 GPS à bord avec des cartes électroniques, ce serait une grande malchance que les 4 tombent en panne en même temps. Si l’auto pilote brise, on est dans la merde. C’est extrêmement exigeant de barrer manuellement et on n’ose pas imaginer être obliger de le faire sur plusieurs jours. Mais le pire c’est la fuite d’eau incontrôlable... Et de devoir abandonner le bateau. On a une balise de détresse, un radeau de survie, et un grand sac contenant de quoi vivre pendant quelques jours. Mais quand même, on ne veut pas vivre ça! Toutes ces mauvaises expériences ont vraiment été vécues par des navigateurs... C’est pourquoi Stéphane part sur le pont faire une inspection quotidienne. Il observe le gréement, les manilles, les voiles, les cordages. Il détecte l’usure, prévient les risques, c’est sérieux. Je me sens soulagée par sa vigilance!

Pour ma part, une peur irrationnelle qui me vient souvent est qu’il tombe accidentellement à l’eau. Que je me réveille et qu’il n’est plus là. S’il est tombé plusieurs minutes auparavant et que l’auto pilote a fait poursuivre notre route, il serait impossible de le retrouver... Le jour, je pourrais peut être le retrouver mais il faudrait une mer calme (c’est rarement dans ce temps là qu’on tombe à l’eau). Mon dieu que je ne voudrais pas être obligé de faire les manœuvres de l’homme à la mer! C’est pourquoi la nuit, on s’attache avec un harnais. Je dors mieux en sachant qu’il est bien attaché au bateau. Il est aussi interdit d’aller sur le pont sans que je sois dans le cockpit, aux aguets et prête à intervenir rapidement. Si ça brasse trop, et surtout la nuit lorsqu’on doit changer de voiles (enlever le spi) ou installer le tangon, il s’attache toujours à la ligne de vie installée chaque côté du bateau. On n’est jamais assez prudent...

Une autre peur qui est bien réelle est la possibilité d’avoir besoin de soins médicaux d’urgence lorsque que nous sommes si loin de la terre. J’ai des antibiotiques pour différentes infections. J’ai une trousse de premiers soins pour des plaies légères. J’ai même tout le matériel pour faire des points de sutures et de la Xylocaine pour geler une plaie ouverte. J’ai du matériel pour faire un plâtre temporaire en cas de fracture. Mais s’il avait un malaise cardiaque? Un AVC? Des pierres au foie? Une appendicite ou péritonite qui demande une chirurgie d’urgence? La seule chose que je pourrais faire serait d’activer la balise de détresse et espérer que la garde côtière fasse détourner un autre navire pour venir à notre rencontre. Mais ça peut prendre des heures, voir des jours! Cette pensée ne me paralyse pas, et ne m’empêche pas de partir, mais elle est là.

Mais avec l’expérience, j’ai moins peur des vagues, je les apprivoise. Je sais que le bateau les prend bien. J’ai moins peur du vent, on contrôle mieux les voiles. J’ai moins peur du mauvais temps, car on sait ce qu’il faut faire. J’ai moins peur de l’isolement, je me sens bien avec moi même. J’ai moins peur d’être à l’étroit avec mon homme, je suis bien avec lui. Avec le temps, j’ai moins peur de m’ennuyer de mes proches, on se parle ou on s’écrit régulièrement. J’ai moins peur de manquer ma vie d’avant, car j’aime beaucoup ma vie présente. J’ai moins peur de manquer de défis, car j’en vis suffisamment dans ce voyage. J’ai moins peur de manquer mes filles. Je les sais heureuses, aimées et bien entourées. J’ai moins peur d’oublier mon fils... Il est bien présent, dans mon cœur, mes pensées, mes rêves. Je continue de l’aimer, inconditionnellement, et ça me fait du bien...

Conclusion

Bref j’ai beaucoup plus de « moins peur » que de « peurs » alors je poursuis ma route avec sérénité et confiance! Nous avons fait la moitié du Pacifique en 31 jours, sans escale. Nous prendrons 2 ans pour faire la seconde moitié de cette immense océan, en explorant plusieurs îles et en faisant beaucoup d’escales. Un beau terrain de jeu qui s’ouvre devant nous!

PS: Nous sommes partis en même temps que nos chers amis Sophie et André de Frimousse. Nous avions un contact radio ou courriel presque chaque jour, ce qui était rassurant. Toutefois, il a toujours été clair entre nous, qu’on ne naviguait pas ensemble nécessairement. Ils sont plus expérimentés que nous, ils ont un voilier plus rapide que le nôtre, et on choisissait chacun notre stratégie de route et de voilures. Il n’était pas question de course ici, et on s’était dit qu’on ne s’attendait pas. Ils ont été plus rapides que nous en TransAtlantique. On les avait rattrapé seulement parce qu’on a fait partir le moteur pour les 2 derniers jours. Cette fois ci, ils ont du se contraindre à ralentir et ils arriveront 4 ou 5 jours après nous. Leur auto pilote ne fonctionnant plus, ils doivent compter sur leur régulateur d’allure. Il est reconnu que cet appareil est parfais pour différents vents, sauf en vent arrière. Nous avons été en vent arrière pendant les 3 dernières semaines... En plus, ils ont endommagé leur tangon par une nuit de vents plus forts. Ca fait donc 3 semaines qu’ils naviguent avec les voiles réduites. Le régulateur exige une surveillance et une intervention constantes. Ils vivent une navigation plus exigeante que le nôtre, et ils doivent user de beaucoup de patience. Nous sommes de tout cœur avec eux et avons très hâte de se retrouver tous ensemble pour célébrer cette traversée. On se promet de belles découvertes et de beaux moments ensemble, dans le reste du Pacifique!

PS2: je vous invite a m'écrire plus bas vos commentaires ou vos questions spécifiques pour ceux qui en ont. Il me fera grand plaisir d'y répondre.. xx