mardi 15 novembre 2016

Traversée Beaufort-Éleuthera

Interruption temporaire du blogue…

Pour ceux qui ne sont pas au courant, j’aimerais vous informer qu’un événement tragique est arrivé dans ma vie, c’est la raison pour laquelle je n’ai pas donné de nouvelles depuis le 29 Octobre. En arrivant aux Bahamas, après notre traversée de 4 jours et 4 nuits en mer, j’ai appris la mort soudaine de mon fils adoré, Julien, 22 ans… Un retour urgent à Montréal s’est effectué sur le champs. Depuis, le temps m’a manqué et surtout, cette grande perte inexplicable, ont fait que j’ai mis de côté l’écriture du blogue. Vous comprendrez cet interruption temporaire…

Je tiens à poursuivre la rédaction de mes récits puisque plusieurs personnes m’encouragent à le faire. Je n’aurai certainement pas la même insouciance, ni le même regard sur ce voyage. En même temps, je compte vivre mon deuil doucement, par petites bouchées, et discrètement. Je ne souhaite pas vous imposer ma peine et mes états d’âme donc je parlerai de mon fils que de façon parcimonieuse et comme ça viendra.

Pendant la traversée, j’avais entamé le récit de cette expérience. Je vous présente, a post priori, notre vécu durant ces 4 jours :

30 Octobre








Matin du départ à Beaufort






Nous sommes arrivés à Beaufort hier midi et avons juste eu le temps de faire les dernières provisions en sol américain. J’avais beaucoup aimé cette petite ville lorsque j’étais venu avec le voilier de Navtour en juin dernier. J’étais ravie de retrouver mes repères et de partager cette découverte avec mon homme. Toutefois, nous n’avons pas eu le temps d’en profiter puisque notre fenêtre météo pour prendre la mer est déjà aujourd’hui. Nous pensions avoir plusieurs jours devant nous, lorsque Benoit, notre routeur, nous annonce que non seulement la fenêtre est excellente, mais que c’est plus optimal si on part ce matin pour arriver à Spanish Weil, Éleuthéra, en matinée. Ça nous donne une marge de manœuvre si jamais la route est plus lente que le 6kts/h planifié. Nous sommes enthousiastes de partir ce matin, mais je dois avouer, nous n’étions pas prêts à 100%. Nous aurions souhaité relire nos notes de cours, préparer nos routes nous-même, faire notre plan de navigation pour ensuite le valider avec Benoit. Nous avons manqué de temps et de discipline pour le faire avant. C’est donc avec résignation qu’on suit les instructions de notre routeur, avec les deux seuls way points à mettre au GPS et l’heure de départ.

J’ai eu le temps de préparer quelques repas afin de ne pas cuisiner pendant la navigation. Stéphane a fait son inspection partout sur le bateau, y compris le moteur, pour s’assurer que tout était parfaitement fonctionnel, et surtout pour s’assurer qu’on n’a pas de fuite d’eau, avant de prendre la mer.  Nous étions étonnement calmes face à ce qui s’en venait.

Nous avons levé l’ancre à 10h30. La sortie de l’Innlet à Beaufort n’était pas évidente. Nous étions un beau dimanche avec une température estivale. Il y avait beaucoup de petits bateaux de plaisance en train de pêcher. Le courant, les barges et les navires de marine marchande en plus, rendait la sortie corsée. Aussitôt sortis, la mer était vraiment agitée. Des vagues courtes, qui se croisent, rendait la navigation difficile et surtout, me donnait déjà mal au cœur… oh boy, pas déjà !

Nous nous attendions à un vent régulier et confortable de l’ouest, avec une mer calme. Au lieu de ça, nous avons eu un vent du Sud-Ouest, donc une navigation au près, avec des vagues de 5-6 pieds, qui arrivaient de travers. Des vagues courtes, que s’entrechoquaient et qui nous faisaient brasser. J’ai vomi 2 fois dans la journée ! Les médicaments que j’ai fait venir d’Europe, les Stugeron, n’ont de toute évidence, pas fait effet à temps. Je devrai les prendre d’avance et de façon plus stricte la prochaine fois. Stéphane a eu un mal de tête qui a été aussi difficile pour lui. La première journée de notre première vraie traversée n’a pas été la journée qu’on rêvait depuis 2 ans disons !

PS : la traversée NY-Cape May ne doit pas compter finalement puisque nous étions qu’à 5 milles des côtes, sans trop de vagues, ni de vent...

Les vagues rendent chaque déplacement dans le bateau assez difficile. Je me cogne partout car je perds l’équilibre. Je dois m’agripper à tout. Quand, pour aller aux toilettes, il faut se tenir fermement d’une main et baisser les culottes de l’autre tout en visant juste, c’est un exploit en soi. Ça prend toute mon énergie à me tenir. J’ai l’impression d’être dans des montagnes russes qui n’arrêtent jamais.
Comme je me sentais nauséeuse, il était impensable de lire ou d’écrire, et encore moins de fouiller dans le frigo. Heureusement Stéphane était plus fonctionnel et nous apportait à manger.

La première nuit fut tout de même magique. C’était plus calme et je me sentais mieux. Le vent du sud-ouest a tourné du nord-ouest, ensuite du nord, pour nous arriver du nord-est. La mer s’est momentanément aplatie. Nous avions donc beaucoup moins de vagues. Par contre, le courant du Gulf Stream nous ralentissait et on a dû partir le moteur pour aider les voiles. On a croisé quelques orages mais rien de sérieux. Notre inquiétude était pour le refoulement des toilettes. Malgré le flush en mer, les restants du réservoir remontait dans la toilette. Nous avons du pomper à chaque 15-20 min pour une partie de la nuit avant que ça se règle. 


De la seconde journée à la cinquième, nous avons gardé le même cap et la même allure. Voilé partiellement (1 ris le jour et 2 ris la nuit) ou seulement avec le génois, le vent était à 20kts avec rafales a 25-30kts. Nous étions babord amure. Comme nous étions au portant (vent qui pousse sur le côté arrière), heureusement le bateau ne gitait pas trop. Nous avons apprivoisé cette mer rapidement. Nous avions confiance au bateau, ainsi qu’à notre pilote automatique. Ambition 1 réagissait bien aux vagues, gardait son cap, et on sentait un bon équilibre dans son élan. Il surfait sur les vagues, et on atteignait même des pics à plus de 9kts/h. Je n’avais pas trop peur, j’étais simplement incommodée par le mouvement, les bruits et la force du vent. J’étais incapable de dormir 2 heures d’affilées donc les quarts de nuit étaient courts. J’aime tout de même la navigation de nuit. Le ciel était dégagé pour le reste de la traversée et toujours rempli d’étoiles. On voit du plancton phosphorescent dans les remous que le bateau fait en avançant et c’est spectaculaire. On a croisé à peine quelques cargos, et de loin en plus. Donc rien de particulier sur notre passage. Mais le vent ! Si puissant, bruyant, qui peut être inquiétant parfois, mais qui est aussi notre meilleur ami.  En mettant les panneaux du côté d’où vient le vent, nous étions protégés. C’était plus confortable et plus chaud. Nous avons eu des conditions particulièrement chaudes : en manches courtes le jour et à peine un chandail long ou un coupe-vent la nuit. Il est quand même difficile de garder l’œil constamment ouvert lorsqu’on est seul la nuit. Nous n’avons pas besoin de barrer, on peut donc s’installer confortablement en s’allongeant dans le cockpit. On a seulement à regarder les instruments à toutes les 5-10 min pour s’assurer que la girouette indique que le vent est toujours dans la bonne direction, que la vitesse et le cap sont constants, et que le radar n’indique pas d’obstacles en vue. On veille sur l’horizon pour s’assurer qu’on ne voit pas de bateau illuminé au loin. On tend l’oreille pour s’assurer que les voiles ne faissaillent pas.  Mais à part ça, c’est l’inaction qui nous fait fermer les yeux. Autant j’ai de la difficulté à dormir lorsque je suis dans le lit car tout bouge, autant il est difficile de se tenir réveillée lorsque je suis seule dans le cockpit. Le coucher du soleil arrive vers 18h30 et le lever vers 7h. Mais c’est surprenant comment les nuits passent vite. On grignote, on boit beaucoup d’eau, et on tente de dormir à tour de rôle. 

Stéphane avait la hantise que quelque chose brise pendant la navigation. Comme le bateau est sollicité à son maximum en mer, sur une longue période, tout peut briser. On doit s’attendre à des bris et s’y préparer. C’est stressant pour le capitaine mais ça fait partie de l’aventure.

Mon capitaine a été moins malade que moi et a pu, heureusement, bien manger et mieux dormir. Malgré ça, il a trouvé l'expérience pas aussi joyeuse qu'il l'aurait voulu. J’étais vraiment déçue de ne pas être aussi fonctionnelle que lui sur le bateau. J’avais perdu mon énergie, et les nausées me rendaient la vie dure.  J’ai commencé à me sentir mieux seulement à la dernière nuit et à l’approche des Bahamas…On m'a dit plus tard que pour une traversée de 4 jours ou de 8-10 jours, je commencerai toujours à me sentir mieux après la 4e journée... Faudrait que je m'y fasse...

Nous avons parcouru un total de 590MN : jour 1 = 120MN, jour 2 = 150 MN, jour 3 = 170 MN, jour 4 = 150 MN.  Nous avons trouvé cela exigeant, malgré que les conditions étaient parfaites pour cette première traversée. Nous sommes donc inquiets de savoir que ça peut être nettement plus difficile… La vue de la terre ne m’a pas fait l’effet qu’on voit dans les films. Malgré tout, de voir la mer passer du bleu foncé profond au bleu turquoise clair, c’est enivrant car on sait que nous sommes arrivés dans les pays chauds !

Nous avions prévu arriver au port d’entrée de Spanish Weil. Stéphane a plutôt opté pour une petite île déserte, à 6 MN de là, Royal Island. On se reposera et nous irons faire les papiers de douanes le lendemain. Nous sommes entrés dans une petite baie bien protégée, personnes aux alentours. Aussitôt l’ancre jetée, on s’est lancé à l’eau, nus, pour savourer cet instant magique. L’eau était fraîche mais quand même confortable. Stéphane a rapidement mis son masque et ses palmes pour une inspection de la coque et du safran. Il régnait à bord une allégresse, une fierté d’être arrivés, une légère euphorie de ne plus, enfin, se faire brasser. Bref nous étions heureux d’être arrivés et de commencer enfin le vrai voyage. Ce fût de très courte durée…

A peine une heure après avoir jeté l’ancre, j’envoyais un Airmail par la radio HF à Benoit ainsi qu’à ma mère, leur annonçant notre arrivée, et les rassurant que tout s’était bien passé, et que surtout, les efforts pour y arriver en valaient la peine !  Dans mon envoi, j’ai aussi reçu un message, le genre de message que tout le monde redoute : il fallait que j’appelle le plus rapidement possible à la maison, quelque chose de grave était arrivé ! Mes filles me signifiaient, entre les lignes, que leur frère Julien était en cause. Un coup de bâton de baseball arrivant en pleine figure… Les entrailles qui veulent exploser… Le cœur qui arrête de battre… Je suis incapable de reprendre les communications par le HF, la station ne transmet plus, c’est une torture…

On décide donc de se déplacer à Spanish Weil pour avoir accès à du wi-fi. Je dois impérativement parler à mes filles (Martine 29 ans ou Marianne 26 ans) ou à leur père. En entrant dans l’étroit chenal qui mène au port, les bouées sont remplacées par 2 poteaux blancs dont on ne distingue pas vraiment la signification. L’ouragan Mattews ayant emporté les bouées, nous devions nous fier à des signes non familiers. Malchance, inexpérience, émotions et fatigue, nous avons échoué. Incapable de se sortir de là.

La marina nous envoie un homme avec son bateau tenter de nous tirer d’affaire, sans succès. Je suis donc prise sur un bateau échoué, et on m’annonce que je dois attendre la marée haute en soirée avant de pouvoir parler à Montréal. J’implore de pouvoir faire un appel et l’homme me donne gentiment son cellulaire pour que j’appelle. Le pire était bien arrivé. Mon fils, a été trouvé mort dans son lit, par son père, la veille. Ma fille pleure. Je ne comprends pas. On ne sait pas comment il est mort, mais ce n’est ni un suicide, ni la drogue, ni un assaut ou mort violente. Mort naturelle, même si ce n’est absolument pas naturel de mourir à 22 ans, lorsqu’on est en pleine forme, jouissant de la vie, avec des projets à profusion devant soi…  

Stéphane doit aller aux bureaux des douanes, et je dois demeurer seule sur le bateau…Je ne réalise pas ce qui se passe. J’ai beau me répéter que mon petit homme est mort, je suis incapable de réagir. Je prends une douche rapide et fait un petit bagage car je veux aller prendre l’avion sur le champ. Stéphane revient enfin et me signifie que j’ai aucune chance de quitter l’île aujourd’hui. Tout est prévu pour mon transport vers Montréal le lendemain.  J’ai pu quand même aller à terre, et parler à mes proches qui avaient appris la terrible nouvelle avant moi. 

On doit sortir le bateau de sa fâcheuse position. Plus tard, un autre gars vient nous aider. Avec son bateau, il nous tire beaucoup trop fort, et le safran se brise complètement. Le safran s’est détaché de la coque et je le vois flotter à la dérive. C’est irréel. Je me crois dans un mauvais film, ou un cauchemar. Je dois aider Stéphane et je fonctionne comme au ralenti. On réussit à se faire remorquer jusqu’à un endroit sécuritaire pour la nuit. Le gars nous aide à installer une ancre en avant et une autre à l’arrière, afin de fixer le bateau pour ne pas qu’il pivote car c’est trop étroit. Il est 11h du soir, je ne cesse de me répéter que mon fils est mort, sans trop y croire, sans comprendre l’ampleur de la situation. Je ne dormirai pas et je me blottirai dans les bras de mon homme, car je tremble de tout mon corps. Les gens de cette petite île nous seront d'un bon support car la mauvaise nouvelle à rapidement fait le tour...

4 Novembre

Ce fût une journée pénible et je ne sais pas comment j’ai pu passer au travers. A 5h30, je prends un water-taxi qui m’amène sur une île voisine. Je prends un taxi qui m’amène à un aéroport. Je prends un avion de brousse qui m’amène à Nassau. Je prends un vol jusqu’à Toronto et ensuite arrivée prévue à Montréal pour 18h. J’ai eu 4h à attendre à Nassau. Enfin j’avais du wifi. J’ai pu communiquer par Facetime ou Messenger avec mes proches. Ma fille Marianne était à Vancouver attendant son avion pour une arrivée à Montréal à 17h.  Le père de mes enfants qui était inconsolable. Ma mère, mon père, ma grande amie, la copine de mon fils… Je pleure enfin toutes les larmes de mon corps. Un étranger qui me voit pleurer s’approche pour m’aider. En apprenant ce qui m’arrive, il me prend dans ses bras et pleure avec moi…

Stéphane devait trouver une solution pour réparer le bateau. Il était impossible de laisser Ambition 1 ancré à l’endroit où il était. On devait sécuriser le bateau et commencer les démarches pour faire remplacer le safran. Stéphane viendra me rejoindre à Montréal 2 jours plus tard. 

L’aventure du bateau était interrompue promptement, mais j’avais déjà rassuré mon capitaine, que nous allions revenir. Pour moi, je savais déjà que je devais poursuivre. Mon fils, qui nous trouvait tellement « hot » de faire ce que nous avions entrepris, serait déçu de savoir que j’abandonnais notre grand projet. J’ai la chance d’avoir une famille tissée serrée. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble à se consoler. Le service funéraire a eu lieu le mercredi, 9 novembre. Une très longue journée mais je suis reconnaissante de tout le réconfort et le support que j’ai reçu. Nous avons célébré la vie de Julien, avec les nombreux jeunes : ses amis qui l’aimaient tant. 

Je serai de retour aux Bahamas prochainement, et je vous donnerai de mes nouvelles sous peu.